Comment je suis devenu Ultra ordinaire

  • 21st Apr 2025
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Le 12 avril dernier, à 16h40, j’ai franchi la ligne d’arrivée de la Race Across Paris 2025 - 500km après un peu plus de 30h, 535km et 5200m de D+.

Mais pourquoi ?!

Mais avant d’entrer dans les détails de la course et de ma préparation, un peu d’histoire.

D’aussi loin que je me souvienne, nous partions chaque été en vacances avec les vélos sur le toit de la voiture ou dans la caravane. Je me souviens même avoir récupéré un bidon Crédit Mutuel en allant voir passer une étape du tour de France dans les années 90. Le vélo a aussi été mon moyen de transport durant toutes mes années lycée, aussi bien pour aller en cours, que pour aller voir mes amis ou ma famille à la campagne. Mes parents allaient au travail à vélo par tous les temps, mon père faisait même 2 allers-retours par jour pour rentrer manger le midi. C’était une époque bien moins connectée et je ne sais pas exactement quelle distance je parcourais, mais probablement entre 1000 et 2000km par an. C’est à la fois peu comparé à ma pratique actuelle, et beaucoup pour l’époque.

Au début des années 2000, mon père m’a acheté un vélo de course (d’occasion). Un modèle fabriqué sur mesure pour son propriétaire initial. Une machine de guerre équipée full Shimano Ultegra (série 6500). À cette période j’ai découvert les sorties cyclo sportives et ai participé à plusieurs reprises au Rallye cyclo des 9 monts. Je pense avoir fait toutes les distances avec le 160km lors de ma dernière participation en 2004 ou 2005. C’est sur ces évènements que j’ai appris à rouler en peloton, à prendre des relais et à enchaîner les heures de selle.

Puis vinrent les études, le début de la vie active et la famille. Ma pratique du vélo est devenue anecdotique, mais j’ai continué à faire un peu de sport. J’ai notamment fait du Hockey sur glace pendant une dizaine d’années… avant de devoir arrêter pour raison médicale.

Nous voilà en 2020, en pleine pandémie de COVID19 avec les différents confinements, couvre-feux, etc. J’ai donc des problèmes de santé, je ne fais plus de sport et je travaille à 100% en remote. Bref, une période compliquée.

Puis en 2022, des collègues me proposent de participer à Lille-Hardelot. Nous sommes en avril et la course a lieu fin mai. J’ai donc moins de 2 mois pour me préparer… Mais ça passe, et rouler me fait un bien fou ! La même année, nous nous lançons le défi un peu fou de rallier nos bureaux de Lille à ceux Paris, soit ~250km à réaliser sur la journée, auxquels nous ajouterons ~100km le lendemain pour une visite “touristique” de la capitale 😅

En 2023, je redécouvre le Paris-Brest-Paris dont me parlait mon père vingt ans plus tôt et l’ultra-cyclisme. Nous apprenons aussi que ma mère a un cancer. Elle qui, avec mon père parcourrait des milliers de km à vélo chaque année. Ils s’étaient lancés l’année d’avant sur une traversée de l’Europe jusqu’à la mer noire qu’ils n’ont malheureusement pas réussi à compléter car sa santé a commencé à se dégrader.

C’était décidé, j’allais me lancer dans la longue distance et rouler pour elle !

Le commencement

En 2024, je me lance donc dans une série de BRM et valide plusieurs 200km et un 400km. Je ne peux malheureusement pas participer au 600km car c’est l’heure de dire au revoir à ma mère 😭

Je me lance en juillet dans un “tour du Benelux” en solo : traverser la Belgique jusque Maastricht aux Pays-Bas, rejoindre Aachen en Allemagne, descendre jusqu’au Luxembourg avant de rentrer. Le tout pour un peu plus de 600km que je compte réaliser dans les conditions du BRM en moins de 40h. Je décide cependant de m’arrêter après “seulement” 450km, la météo et le relief accidenté des Ardennes ayant eu raison de moi. L’objectif de traverser 5 pays est néanmoins validé. Mais surtout, mon envie de poursuivre dans cette discipline n’est pas entamée !

Je réalise malgré tout qu’il me faut une préparation très solide et que ça ne va pas être simple de concilier cela avec la vie professionnelle et la vie de famille.

Les objectifs

Comme toujours dans la vie, pour avancer il est important de se fixer un cap et des objectifs. Je vise donc un Paris-Brest-Paris en 2027. C’est très ambitieux, il va falloir travailler dur. Il me faudra aussi compléter les BRM nécessaires en 2026 : 200, 300, 400 et 600km.

En attendant, en 2025 l’objectif est de me constituer une bonne base d’endurance. Le PBP et les BRM sont des randonnées et peuvent se réaliser en peloton. Mais cette année, n’ayant pas la possibilité de m’engager sérieusement en groupe, j’ai prévu de rouler pas mal en solo. Et quoi de mieux pour se tester et valider la théorie que de s’engager dans une course d’ultra en solo ? C’est la raison de ma participation à la Race Across Paris 500km.

Le départ

Cette course se déroulant très tôt dans l’année, je prévois de maintenir un rythme assez soutenu avec 1 sortie d’au moins 200km par mois toute l’année.

La préparation

Depuis fin 2022, je roule avec un gravel : le Canyon Grizl en double plateau. Je dispose de 2 paires de roues : 1 paire de roues gravel avec des pneus de 40mm que j’utilise l’hiver quand les conditions ne sont pas terribles, et 1 paire typée route avec des pneus de 28mm. Je n’ai pas de home-trainer et je roule donc toute l’année en extérieur. Je fais finalement assez peu de off-road mais la géométrie du vélo est très confortable et me permet d’enchaîner les heures de selle.

J’ai eu ce projet de participation à la RAP assez tôt et ai commencé ma préparation en septembre 2024. Plutôt que d’avoir un “creux” pendant les mois d’hiver comme c’est généralement le cas. J’avais prévu de maintenir un volume à peu près constant le plus longtemps possible :

volume d’entraînement par mois

Malheureusement les mois de décembre et janvier n’ont pas été très propices à l’entraînement, entre la météo catastrophique, les virus et les week-end bien remplis, le creux tant redouté s’est bien formé. Pas de panique, on s’adapte et on compense le “manque” de vélo par un peu de renforcement musculaire qui s’avéra être d’une efficacité redoutable. En effet, n’ayant pas beaucoup de relief à proximité, je suis moyennement à l’aise lorsque les routes s’élèvent (c’est d’ailleurs un des éléments qui a pêché pendant mon “tour du Benelux”). Mais de simples exercices comme des squats ou la chaise ont clairement contribué à améliorer mes performances dans les bosses. La corde à sauter a également été très bénéfique pour le cardio afin de pouvoir redescendre beaucoup plus vite après une intensité. Enfin, l’exercice ultime c’est le gainage qui permet de rester beaucoup plus longtemps dans les prolongateurs.

J’arrive finalement à augmenter le volume de manière constante pour attendre 300-350km par semaine d’ici fin mars.

volume d’entraînement par semaine

Au passage un énorme MERCI aux copains qui m’ont accompagné sur un certain nombre de sorties 🥰

La stratégie

En 2024, le départ de la RAP 500km se faisait tôt le matin, donc dès le début j’avais prévu de faire cette course “sans dormir”, mais cette année, le départ était prévu bien plus tard, nous obligeant à rouler toute la nuit. Durant ma préparation, j’ai donc roulé à différentes heures du jour et de la nuit afin d’être habitué à ces conditions particulières.

Une particularité de la RAP c’est qu’elle est constituée de 2 boucles nous permettant de repasser par la même base de vie au départ, au milieu et à l’arrivée.

Niveau ravitaillement, je pars avec 1,5L (moitié eau, moitié électrolytes), 2 sandwichs jambon-fromage, des gels, des barres (dont des cliffs) des bonbons (pour le moral) et des pâtes de fruits. Pour la première boucle, je prévois de manger environ toutes les heures, de boire régulièrement en alternant entre eau et électrolytes, et je sais que sur la fin du parcours il y aura plus de commerces pour varier les plaisirs. De retour sur la base de vie, j’ai prévu des vêtements plus chauds pour la nuit, une poche à eau et je referai le plein de sandwichs, barres et gels.

Objectif : boucler la course en ~24h en adoptant une moyenne de 25km/h, 15 minutes de pause toutes les 2h et 2h de pause entre les 2 boucles.

La course

Au final j’ai fini la course en un peu plus de 30h dont 23h30 à pédaler soit une moyenne d’un peu moins de 23km/h.

Je me suis élancé vendredi 11 avril à 10h15 après avoir pris un bon brunch sur la base de vie. Il s’agit de la première course cycliste à laquelle je participe, donc la pression monte un peu. Mais je me sens prêt et j’ai déjà eu l’occasion d’emprunter quelques portions de l’itinéraire. J’ai également utilisé google street view pour reconnaître les premiers km de la course pour prévoir les ravitaillements de la journée… Mais il n’y aura pas beaucoup de commerces sur les 150 premiers km alors j’ai prévu quelques sandwichs !

Je termine la première boucle en 8h30 donc pour l’instant je suis dans les clous ! Je prends un repas chaud sur la base de vie, je prépare mes affaires pour affronter la nuit : j’ai prévu une poche à eau pour ne pas avoir à m’arrêter au milieu de la nuit pour me ravitailler et je rajoute des vêtements chauds pour me couvrir au fur et à mesure que la nuit avance (et que les températures diminuent). Je fais une petite sieste de 15 minutes et je reprends la route vers 20h30.

Les premiers km de cette deuxième boucle se passent bien (malgré un petit détour suite à une mauvaise lecture de l’itinéraire sur le GPS en quittant la base de vie). On arrive assez rapidement dans Paris, mais les problèmes commencent : il y a beaucoup de circulation malgré l’heure tardive ~22h30. S’agissant d’une course sur route ouverte, nous sommes tenus de respecter le code de la route et les feux nous font perdre beaucoup de temps, à tel point qu’on commence à former des pelotons de 10-15. J’arrive au pied de la tour Eiffel à minuit.

la tour Eiffel

À partir de là, je décide de rouler avec un duo engagé sur la course de 300km (qui démarrait vers 20h il me semble). À noter que le drafting (ou rouler en peloton) est interdit. Je reste donc à distance raisonnable. À ce moment là, je me dis que j’ai déjà roulé un paquet de km, que c’est la première fois que je tente une nuit blanche sur le vélo et qu’au plus les heures défilent, au plus la température diminue. J’ai bien roulé de nuit pendant la préparation, mais soit en me levant très tôt, soit en ayant fait une sieste avant le départ, et en aucun cas après avoir déjà enchaîné 200km. C’est donc plus rassurant d’avoir des collègues à proximité en cas de soucis. Néanmoins, le rythme est différent de ce que j’avais prévu et je comprends très vite que mon objectif de 24h ne sera pas réalisable. Mais les heures passent, et chaque abri bus, chaque porche est “squatté” par des cyclistes, dont certains ont l’air proche de l’abandon, si ce n’est déjà fait !

On approche des 6h du matin, le jour commence à se lever, la température est à son niveau le plus bas et l’humidité augmente. J’ai l’impression que les bas-côté sont givrés, à moins que ça ne soit la rosée… J’ai du mal à garder les yeux ouverts, alors je préviens mes compagnons de nuit que je vais m’arrêter quelques minutes pour récupérer.

Je me pose sur un banc sous un abri bus et j’attends que le jour se lève.

un abri bus

Au bout de 15 minutes, je suis prêt à repartir. Je laisse ma place à un autre concurrent à la recherche d’un spot pour faire une pause également.

Une demi heure plus tard, je trouve la première boulangerie ouverte de la journée… Mais elle a déjà été dévalisée ! Je me contente donc du dernier croissant.

Puis vers 9h je trouve une autre boulangerie, beaucoup plus grande, il y a la queue et beaucoup de concurrents en profitent également pour faire le plein d’énergie. Je viens de dépasser les 400km, il ne reste plus qu’une bonne centaine de km soit “une grosse journée de vélotaf” 😅

Mais le moral commence a être bien entamé et le relief ne va pas arranger les choses. Sur les 100 derniers km on va enchaîner une vingtaine de bosses plus ou moins longues et plus ou moins raides !

Les km défilent lentement et je commence à avoir chaud. En effet, je me suis habillé chaudement pour la nuit et je pensais en avoir fini avant midi, je n’ai donc pas de quoi me découvrir et surtout, j’ai oublié la crème solaire sur la base de vie ! Je ne peux pas m’exposer au soleil… Il va falloir gérer pour ne pas surchauffer. Vers 14h j’arrive à court d’eau et le soleil tape fort. J’ai fait environ 475km, le plus dur est fait. Je décide de faire une petite sieste à l’ombre.

Vers 15h30, je trouve un Lidl pour acheter de l’eau et un coca. J’y ferai ma dernière pause.

En repartant je me retrouve à proximité d’une dizaine de concurrents (certains embarqués sur le 300km, d’autres sur le 200km gravel). Le cap des 500km est franchi, il ne reste qu’une trentaine de km et 1 ou 2 bosses. C’est à ce moment que mon cerveau se débranche et les jambes se mettent à tourner. On arrive sur un petit mur emprunté en 2022 lors de notre voyage à Paris. Je connais ce tronçon et je lâche les watts !

Je rattrape même mes compères de la nuit et je vois mon ghost sur le GPS à quelques mètres. Pas question de relâcher les efforts ! Je bouclerai les derniers 35km en 1h 😱

L’arrivée

Bilan

Le bilan est plutôt positif. J’ai certes mis plus de temps que prévu, mais l’objectif principal de terminer est atteint 😄 Physiquement, tout va bien, pas de douleur inquiétante. Un peu de tension au niveau de la nuque, mais l’alternance de position (sur les cocottes, dans les prolongateurs, en bas du cintre) a permis de tenir. Les jambes ont bien tenu malgré le dénivelé élevé par rapport à mes habitudes. Un petit échauffement au niveau de la selle, mais rien de critique. La surprise c’était les biceps qui tiraient un peu sur la fin du parcours avec les aspérités de la route et les pavés de Chantilly ! Respect pour les participants du Paris-Roubaix !

Ma préparation était un peu juste, mais suffisante pour cette distance. Je pensais devoir puiser un peu plus dans mes réserves. Les derniers km se sont un peu joués au mental, mais je n’ai pas eu besoin de mettre la musique de toute la course pour rester concentré/éveillé.

Par contre la course est vraiment tôt dans la saison et ça n’a pas toujours été facile de se motiver à rouler sous la pluie ou dans le froid cet hiver. Heureusement que les copains étaient là !

Si je veux faire le PBP en 2027, je vais de voir me concentrer sur les BRM en 2026 donc je ne pense pas pouvoir refaire la RAP l’année prochaine.

Mais c’était une expérience très cool (même si dure sur le moment) et il y a des chances que je la retente à nouveau… Et pourquoi pas augmenter un peu la distance la prochaine fois !